Boris


« Les loubards pédés » sont hors jeu et hors circuits mais occupent avec l’intelligence de la marginalité l’espace public de la ville de Nantes et sa région avec des affiches au graphisme subtil.

Du squat à la rue...

Boris fait partie des Loubard pédés et produit des affiches sérigraphiées dans un format 35 x 50 cm sur papier kraft. Ses affiches invitent à des soirées-concerts avec des groupes électroaerobic, math rock, gutturaleégocannibalosensuel, jazz gospel variétoche, girlz power, noise, garage, etc...dans des lieux en marge de la culture officielle, dont le Fouloir, un squat désormais fermé et détruit depuis janvier 2011. L'expulsion et la destruction de ce lieu ont été imposées par la mairie de Saint-Herblain.

Ces affiches sont éphémères par essence car collées dans la rue, en dehors des clous de la légalité d’affichage dans l’espace public. Elles sont souvent arrachées par les « agents d’entretien de la ville de Nantes » mais le format, la qualité de l’iconographie, les associations textes et images maîtrisées, les emplacements de collages judicieux permettent parfois une grande longévité sur les murs, les portes, le mobilier urbain, pour ces affiches devenues des signes abstraits érodées, dégradées, dépigmentées.
Tandis que la ville est assommée par l’imagerie publicitaire kitsch, commerciale ou institutionnelle, les affiches des loubards pédés enluminent encore l’espace public.

Le temps du graphisme

La première série d'affiches sur kraft sert réellement de support de communication. Elle informe, donne des indications de contenus, de dates, de lieu. L'image raconte l'hybridation musicale et capte le regard du passant par sa singularité dans le paysage urbain. Mais il faut toujours faire vite. C'est le temps compressé de l'efficacité, de la « production ». En quelques jours, l'affiche est conçue, fabriquée à une centaine d'exemplaires et diffusée dans les bars, collée sur les murs. La sérigraphie est alors abordée/utilisée pour ses qualités de reproduction en série rapide.

Plus tard, ces affiches sont reprises comme une base afin de pousser l'expérimentation dans l'atelier. Ce n'est plus le temps du collectif, c'est celui du graphiste, du sérigraphe qui oriente sa pratique comme on travaille l'estampe. C'est le temps dilaté du plaisir de chercher hors des contraintes de l'événementiel. Il en sort alors des micro-séries, de 15 à 30 exemplaires, vendues — ou pas — ou montrées dans des expositions. L’affiche, à l’origine support de communication vivant dans le temps court d’événements immédiats est alors devenue une image — ressemblante, mais pas tout à fait la même — destinée à être diffusée sur un temps long.

-------------------------------------------------------------------------------------


-------------------------------------------------------------------------------------

Quelques vues de l'extérieur et de l'intérieur du Temple du goût, rue Kervégan à Nantes




-------------------------------------------------------------------------------------

En novembre 2011, "les loubards pédés" diffusaient largement ce texte sur Nantes et sa région.

Fabrique de l'ennui

La Fabrique ? Une machine politique de plus pour écraser les scènes alternatives. Comme dans d'autres villes, cette « boîte à musique », que tout le monde applaudit, aura un impact considérable sur tous les bars et lieux indépendants. Ce nouveau jouet culturel est une arme stratégique contre les lieux indépendants qui se battent depuis des années pour faire vivre une autre idée de la culture, de la musique et de la création en général. On justifiera la fermeture de lieux trop embarrassants par l'existence de lieux que seule la mairie a choisis. Son acharnement sur le terrain culturel impose le fait que tout doit rentrer dans des codes très stricts, où tout est pesé, millimétré. Que rien ne leur échappe. Horaires de fermeture, brigade antibruit, videurs, et autres conditions drastiques sont le lot quotidien de tous ceux qui veulent diffuser de la musique en dehors des salles officielles. Ils veulent avoir le contrôle sur tout. Surtout quand le lieu devient un repère nocturne. Le Fouloir à Saint-Herblain, par exemple, commençait à être trop visible, trop bruyant, trop illégal et surtout il ne rentrait dans aucune des conditions municipales. Il fut fermé, ainsi soit-il !

S'il n'y avait rien dans le paysage culturel nantais, et que des lieux indépendants fermaient, tout le monde crierait au scandale, ça ne passerait pas. Mais il y a tellement de festivités pour nigauds, tellement d'Éléphants, qu'on ne voit plus rien. Des lieux alternatifs ferment et, avec eux, toute la diversité culturelle qu'ils apportaient. Mais personne ne trouve rien à redire. La magie qu'il y avait dans des lieux comme le Fouloir, ou maintenant dans un lieu comme Bitche, ne peut exister dans aucune salle officielle. Qui se souvient de lieu comme le Paradis d'Asie ou le Courtois ? Bientôt plus personne. Et c'est sûr, il n'y aura pas un gros livre comme pour l'Olympic pour retracer leur histoire.

Symptomatique, l'édito du premier programme de La Fabrique, les cinq associations « invitées » à faire partie du projet n'ont même pas une petite ligne pour dire ce qu'elles pensent. Seul parle Jean-Marc Ayrault. Ça donne le ton pour la suite. Les assos devront la fermer si elles veulent garder leurs petites places au chaud.

La « culture » ne doit pas échapper au pouvoir de la mairie. Peu d'hommes politiques avant Ayrault auront autant utilisé la culture comme moyen de séduction pour garder le pouvoir. Autrefois, à Nantes, on flattait l'électorat avec du travail à la pelle. Maintenant on le flatte à coup d'Éléphant et de merde culturelle. Une aliénation pour une autre. C'est exactement ça, faire de la politique. Trouver ce qui est vendeur. Et à Nantes, c'est le bizgo de la culture.

« Nantes, une éternelle fabrique de talent » nous dit Ayrault. Effectivement, on a sûrement ici les plus beaux talents pour faire du chiffre avec la culture. Les fins limiers de la Samoa l'ont bien compris. Une vraie petite clique, ces grands amis des promoteurs immobiliers qui veulent faire de l'île de Nantes, où niche la Fabrique, un paradis pour artistes bon teint. Si t'as des tunes et que t'es un artiste sympa qui fait du fric et pas trop de vague, t'auras peut-être une chance de rester. Et ceux, nombreux, qui avaient leur atelier dans la halle Alstom et qui se sont fait déloger par la Samoa pour être relogés à prix exorbitant ne nous contrediront pas. Passer de 40 euros le m2 à 160 euros le m2 avec même pas une chiotte compris dans la location, il y a de quoi devenir chèvre… Mais bon, il parait que c'est pour aider les créateurs...

Question argent, la Fabrique n'a pas fait les choses à moitié. 28 millions d'euros, rien que ça. À simple titre comparatif, le Fouloir herblinois devait être racheté 250 000 euros par une asso pour un projet de logement et d'activités culturel. Avec 28 millions, la mairie peut ouvrir 112 lieux comme le Fouloir ! Mais faut avoir envie de se faire racheter, et de s'asseoir sur son indépendance...
Question indépendance, on peut juste dire que les anciens de l'Olympic sont des maîtres ; ils n'ont même pas eu le choix de leur propre nom pour la Fabrique ! Faut dire qu'ils avaient trouvé comme nouveau nom : « Mon voisin est un éléphant »… C'est vrai que là, on peut applaudir l'idée originale. L'histoire, c'est que comme le nouveau nom — il faut bien le dire — était pourri, le conseil d'administration a choisi pour eux en faisant appel à un intervenant extérieur payé qui trouva la perle : « Stéréolux ». Que de talent et d'idées pour avoir réussi à trouver un nom de frigo pour une salle de musique !

Par ailleurs, dans le projet initial de la Fabrique il devait y avoir une troisième salle, le « Bâtiment C », dédié aux assos. Projet abandonné. Raison officielle : pas assez d'argent. Quand on voit le fric qu'ils avaient, on se demande bien comment ils ont fait ! Mais bon, la vraie raison — un secret de Polichinelle dans les couloirs de la Fabrique — c'est que Stéréolux flippait sérieusement que les petites associations leur fassent grandement de l'ombre. Les petites associations ont cette force qu'elles fidélisent un public et remplissent des salles avec des groupes peu connus ; de quoi se poser des questions sur tout cet argent donné aux gars de Stéréolux pour faire tourner leur bazar, alors que d'autres font un boulot nettement plus passionnant avec pas un kopeck !
Il parait qu'il y a déjà des nostalgiques du défunt Olympic ! Mais de quoi au juste ? Quel mérite a eu cette salle ? D'avoir invité des artistes mémorables comme Émilie Simon ? D'ouvrir ses portes à toutes sortes de styles ? Soyons raisonnables, franchement, le boulot de l'Olympic était à portée de n'importe quelle association de mélomanes un peu au courant de l'actualité musicale. Rien de plus ! Donne une salle comme l'Olympic et autant de pognon qu'en a eu l'asso « Songo » (qui gère les lieux) à n'importe quelle association de musique, et elle te fera un bilan aussi bien, voire nettement mieux ! Et juste pour rappeler, être programmateur d'un lieu comme celui-ci, c'est avant tout avoir un bon sens de la négociation financière. Le bon goût, la découverte, ça passe après. Alors arrêtons avec l'Olympic, c'était une salle aseptisée, chère et sans grande originalité.
Et pour continuer le voyage à Nantes, on peut s'arrêter aussi sur la salle Paul Fort et le Pannonica.
Des salles comme ça sont juste une honte pour la création et la musique. Ces deux salles subventionnées marchent au ralenti total. Avec seulement 80 concerts par an, c'est presque autant que ce que fait comme événements un bon café concert, mais sans subventions et en général avec juste une ou deux personnes pour gérer l'affaire ! Et eux que font-ils avec des équipes de huit à dix personnes ? Ils parlent un peu trop de « culture pour tous », d’« ouverture culturelle ». Pourtant avec toutes les subventions qu'ils touchent, on pourrait se dire que ça aurait une influence sur le prix d'entrée. Mais non, des prix qui avoisinent le plus souvent les 10 / 15 euros et encore si ce n'est plus ! C'est navrant. Du coup, ça en fait des lieux repliés sur eux-mêmes, avec des concerts où on se retrouve à trente personnes, musiciens compris. Expérience vécue.

C'est dommage, il suffisait de faire des entrées à prix libre à et tout le monde s'y retrouvait, et les musiciens en premier ! Il y aurait beaucoup plus de monde et d'entrées, beaucoup plus de bières consommées, un gros public et au final, beaucoup plus de fric pour les musiciens.
Donnez juste une salle comme le Pannonica à deux ou trois associations déterminées et vous sentirez la différence !

Tous ces lieux, organes puissants de la politique culturelle nantaise, n'ont aucune âme, et n'en auront jamais. Ils sont sans relief, et sans originalité. Ils participent juste à cette marchandisation de la culture, qui dénature tout. Le résultat, c'est que ces endroits sont des lieux de consommation où l'on s'ennuie. Il n'y a pas de vie, un videur t'invite juste à rentrer chez toi dix minutes après la fin du concert. Merci, à la prochaine. Résultat ? Deux ou trois billets en moins dans ton portefeuille. On aimerait bien savoir : combien de personnes, en 22 ans de concerts à l’Olympic, y sont tombées amoureuses ? Vraie question, ça, qui donne la mesure de l'ampleur du désastre.
La Fabrique vient d'ouvrir, espérons que Bitche, un des derniers lieux indépendants, ne commence pas soudainement à avoir des problèmes avec la mairie… Si on veut préserver la richesse culturelle et sociale d'un tel lieu, il va falloir se bouger l'arrière-train sérieusement. Le Fouloir a été perdu, battons nous pour que Bitche tienne le plus longtemps possible.

novembre 2011
-------------------------------------------------------------------------------------