Ostranenie

Ostranenie

Et pourquoi pas Ostranenie même si ce nom a déjà été pris par un festival des «arts et techniques des nouveaux médias» à Dessau en Allemagne (semble s’être arrêté en 1997).

De mon excellent ami Luc Douillard (cité plus loin) : http://lucky.blog.lemonde.fr/2007/07/29/ostranenie-et-non-ostraninie/Ostranenie
(...) « Quant à Kenzaburo Oe, prix Nobel de littérature, voici ce qu’il écrivait dans un article paru dans “Le Monde diplomatique” (http://www.monde-diplomatique.fr/1998/12/OE/11473 ) en 1998: “Si l’Union soviétique a disparu, plusieurs de ses mouvements intellectuels si brillants des années 20 ou 30 gardent toute leur pertinence et font partie intégrante du patrimoine vivant du XXe siècle. Cela s’applique au formalisme russe. Disons, pour simplifier les choses, que les mots de l’écriture littéraire, par un procédé que les formalistes russes appelaient ostraninie - rendre autre -, retardent la transmission du sens et rendent cette transmission plus longue. Ce procédé permet de redonner aux mots la résistance qu’ont les choses elles-mêmes au toucher. (…) Or je dois confesser ici que ma vision du roman ou de la littérature en général se fonde sur cette théorie de l’ostraninie.”»
Après une telle épiphanie d’un concept russe (inconnu, en tous cas de moi, jusqu’à ce dimanche soir), je cherche sur un moteur de recherche, mais vite il s’avère qu’une faute de transcription a été faite avec « ostraninie », qu’il faudrait écrire plutôt « ostranenie » (sans accent sur le « e »). (La faute aurait été commise d’abord par Le Monde diplomatique, puis reprise par plusieurs sites.) D’ailleurs l’inventeur du mot, le formaliste russe Victor Chklovski avouait lui-même avoir commis une faute en zappant un deuxième « n » « « H » en russe : остранение ou : остраанненuе.

Une fois dûment réorienté vers « Ostranenie » sur le web, on s’aperçoit que le terme, encore plutôt rare (surtout en français) et ignoré par plusieurs bases lexicale de termes scientifiques, a quand même déjà donné son nom à une revue anglosaxonne et à un festival allemand d’art et de techniques des nouveaux médias.

Maintenant, la définition ?

« Ostranenie » voudrait dire en français : « représentation insolite ».
C’est déjà une première définition stimulante, mais qui n’est pas proposée par la meilleure notice lexicale, pourtant copieuse, celle du Dictionnaire international des termes littéraires,
http://www.ditl.info/arttest/art76.php
qui nous donne (entre autres) comme autres tentatives de traduction :
- « éloignement »,
- « défamiliarisation »,
- « distanciation » (y compris et envers le fameux concept utilisé par Brecht, de distanciation, lui-même inspiré peut-être du formalisme russe, et qu’on pourrait donner pour « dénudation d’un procédé », procédé littéraire, théâtral, prosodique),
- « étrangisation » (rendre étrange, ce qu’on croyait familier),
- « singularisation »,
- « aliénisation » (ne surtout pas confondre avec « aliénation », comme l’indique facheusement une traduction automatique offerte quelque part par un moteur de recherche à propos du mot “ostranenie” !. Disons plutôt que l’aliénisation procurée par l’ostranenie serait justement une désaliénation du locuteur et du récepteur…),
- « déformation » (mais dans ce cas, écrivons plutôt « dé-formation », voire « dé-construction » ?)
- « actualisation » (effectivement),

Mais il semble que la traduction en anglais de « ostranenie » soit particulièrement éclairante puisqu’il s’agit de :
- « estrangement » (d’où “étrangisation” alors que le mot provient d’ailleurs directement du vieux français par la filière anglo-normande).
Comme je suis en verve ce soir, j’ajoute :
- « rafraîchissement » (de concept, d’image, de figure, de connaissance)
- « altérisation » (d’après Kenzaburo Oe qui dit bien : « rendre autre »)
- « re-dé-connaissance » (redécouverte de la connaissance)
- « re-figuration » « dé-configuration »,
- « déprocédé » (défaire, déconstruire le procédé stylistique),
- « extra-procession » (hors du procédé, du processus),
- « méta-stéréotype » (dépassement du stéréotype),
- « métamorphe » (en grec),
- « néoforme » (en latin),
et même (mais il faudrait oser !) :
- « post-cliché » (après le cliché ou le lieu-commun). (..)