Regarder VU






Apprenons à voir

EXPOSITION " REGARDER VU " À LA MEP

Du 2 novembre 2006 au 25 février 2007 à la Maison européenne de la photographie, on peut lire des magazines qui datent des années 30. Non, ne croyez pas que la Maison de la photo s’est transformée en salle d’attente de dentiste, elle accueille simplement ‘Regarder VU’, une exposition après laquelle, l’air de rien, on regarde la photo de presse d’un autre oeil.


Nous avons mis les pieds à la Maison européenne de la photographie pour voir l’exposition ‘Regarder VU’, du 2 novembre 2006 au 25 février 2007, avec la ferme intention de découvrir comment, de 1928 à 1940, les photographes et reporters du magazine VU étaient parvenus à faire leur travail, alors que, pauvres d’eux, ils n’avaient ni Internet, ni appareils numériques, ni SMS ou même post-it. Après plus d’une heure d’intense scrutation des quatre salles, nous sommes parvenus à la conclusion suivante : la photo de presse en 1928, c’est comme aujourd’hui. HELP. Heureusement pour nous, un jeune homme hirsute, Cédric de Veigy, co-commissaire de l’exposition aux côtés de Michel Frizot, traînait dans les parages, et après nous avoir aidé à nous débarrasser des trois kilos de pâte de coing que nous portions à bout de bras (c’est une longue histoire), il nous a rassurés : 2007, 1930, même combat, c’est l’image qui fait la loi.


Une expo photo sans photo

“Beaucoup de gens viendront sans doute dans le but de voir des travaux des grands photographes qui ont participé au magazine, tels que Man Ray ou André Kertész. C’est vrai qu’ils sont mentionnés et que certains numéros pour lesquels ils ont travaillé sont présentés, mais dans cette exposition, on trouve peu de photos : six à l’endroit et six à l’envers“, ironise Cédric de Veigy. Et c’est le cas, en effet. L’exposition n’est pourtant en aucun cas pauvre en illustration : doubles pages, unes et reportages foisonnent. On trouve même quelques numéros à feuilleter. Le recours à l’image se veut systématique et généreux, afin de mieux atteindre son but : montrer que l’image, dans notre société, est souvent plus forte que les mots.
Pour ce faire, Cédric de Veigy et Michel Frizot n’ont pas choisi une approche d’historiens d’art. Ce n’est ni la genèse du photographisme ni l’histoire d’un magazine que vous allez découvrir. Ce que vous allez voir, c’est comment l’image, indépendamment du texte qui peut l’accompagner, véhicule un message auquel nous sommes tous soumis. Il s’agit également pour les commissaires de l’exposition de montrer qu’un photographe n’est pas un homme seul derrière son appareil, mais l’un des rouages du système médiatique, au même titre que le sujet de la photo, l’éditeur, le public. Le support choisi pour cet exercice se prête fort bien au jeu : le nerf de guerre du magazine VU, c’est l’image.
Faire de l’image l’élément central d’un journal, quand Lucien Vogel fonde VU en 1928, c’est nouveau. Quand la publication s’arrête, en 1940, c’est déjà une évidence pour tous. C’est ainsi que les deux premières salles de l’exposition, consacrées respectivement à la fabrication et à la mise en page d’un journal, trouvent leur sens. Ce choix des commissaires d’exposition, bien qu’un peu scolaire, a le mérite de montrer très clairement que si la technique et l’esthétique ont considérablement évolué depuis les années 30, les lois qui règnent sur l’image, quant à elles, sont les mêmes. Le caractère actuel du support - un magazine se fabrique aujourd’hui selon les mêmes étapes qu’en 1928 - permet de donner à l’exposition une portée bien plus large qu’il n’y paraît. En évoquant les quelques années d’existence d’un journal du siècle dernier, c’est une véritable réflexion sur l’image et la société qu’ouvre l’exposition. Attirer l’attention du lecteur, la retenir, aborder d’un oeil neuf des thèmes récurrents, choquer, amuser, émouvoir et informer, tout cela obéit à une recette. Celle qui a été mise en place par le magazine VU est toujours en vigueur.

Lire la critique de l’exposition ‘Regarder VU’

La dictature de l’image

Dans les deux salles sur lesquelles s’étend la démonstration, l’oeil est partout attiré, dragué, traqué. Pêle-mêle sur les murs se côtoient des visages, des enfants, des cadavres, la foule, Maurice Chevalier, des asiles psychiatriques, le Salon de l’auto et celui de Mussolini. A nouveau, nous appelons Cédric de Veigy à la rescousse : En près de quatre-vingts ans, le langage n’a pas changé : nous sommes soumis à l’image. Nous vivons dans un système médiatique qui repose sur la confusion et la quantité. Et les unes des journaux actuels ressemblent à celles qu’on pouvait voir à l’époque : les hebdomadaires sont restés très généralistes et peu organisés, on peut passer du jour au lendemain d’un sujet futile à un sujet terrible. Une exposition presque semblable aurait pu être faite à partir d’un magazine d’aujourd’hui : le seul critère, c’est d’être attrayant photographiquement.“ Ce qu’explique ensuite Cédric de Veigy, c’est que sans s’en rendre compte, on a appris en traversant l’exposition à décoder les différentes utilisations de l’image. Car quand elle n’est pas au service d’une narration et d’une composition, comme pour illustrer un reportage, elle est bien souvent l’expression d’un phénomène - dès qu’elle va au-delà de l’intention du photographe, quand elle montre un visage ou un accident, par exemple. Ça, on peut y être sensible, ou même le voir venir. Ce qu’on savait déjà, sans doute, sans vraiment s’en rendre compte,
c’est que l’image est parfois ordonnée par une esthétique, comme c’était le cas pour le nazisme : “Hitler a compris que l’échelle médiatique est plus grande que l’échelle humaine“, nous dit Cédric. Dans l’exposition, un couloir est en effet consacré à la représentation du nazisme de 1931 à 1940, et montre combien Hitler maîtrisait l’outil médiatique, à l’instar des hommes politiques actuels : il fournissait aux journaux une image savamment composée, celle d’un homme solide, soigné, parfois présenté sous un angle un peu plus intime, chez lui, à la fois proche et digne de confiance. Il a été le premier à créer sa propre esthétique, mais pas le dernier. De quoi donner froid dans le dos.

Des étapes de fabrication d’un journal jusqu’au phénomène médiatique, les deux commissaires d’exposition sont parvenus à leurs fins ; Cédric de Veigy et Michel Frizot ont eu la bonne idée de s’effacer derrière une scénographie sobre et un parcours lisible, pour mieux laisser l’image parler.


Emilie Valentin pour Evene.fr - Novembre 2006