Sonorités graphiques

Depuis plus de deux siècles, le bruit, progressivement, s’installe dans notre vie quotidienne. Une multitude de bruits nouveaux sont apparus et continuent de surgir aujourd’hui. Ainsi,  ce contexte a-t-il amené, par exemple, les bruitistes italiens  à créer entre 1914 et 1921 des expériences tel qu’un concert de bruits. [1]
Cependant, le bruit est un son sans harmonie qu’on associe fréquemment à une nuisance sonore. Le son, quant à lui, est une onde produite par la vibration mécanique d’un support fluide  ou solide et propagée grâce à l’élasticité du milieu environnant sous forme d’ondes longitudinales. Par extension physiologique, le son désigne la sensation auditive à laquelle cette vibration est susceptible de donner naissance.

Représentation graphique du son par le musicien : Dans le domaine musical, différentes tentatives consistant à analyser et représenter les sons complexes qui existent dans notre monde moderne et qui sont intraduisibles par le biais du langage traditionnel existent. Dans un article intitulé « Le graphisme dans la musique », Éric Brabant, compositeur, décrit des usages du graphisme comme solfège musical.[2] Dans un document publié par le Centre Pompidou, on peut lire : « (…) le dessin semble être le moyen le plus efficace pour traduire ce qui est acoustique. La notation traditionnelle, par exemple, ne peut pas transcrire le son du tam-tam : elle ne peut en indiquer que le commencement et la fin, sans pouvoir rendre compte de l’évolution et des variations de ce son d’une façon simple. En revanche, le graphisme résoud facilement ce genre de difficulté.[3]»

Représentation graphique du son par l’artiste : Kandinsky avait cherché à traduire graphiquement des partitions traditionnelles.[4] En 1935, Ch. Blanc-Gatti, de Lausanne, a présenté au Congrès international de cinéma scientifique « son et couleur », jeux de formes et de couleurs synchronisées avec la musique. Dans le domaine cinématographique et particulièrement dans celui de l’animation, « Fantasia » est un exemple célèbre, peut-être, marquant l’expression visuelle de la musique par la figuration d’une « piste sonore » du film « Fantasia » (1940) de Walt Disney.  Le son est en fait transposé en intensité colorée et en forme. [5]

Expression graphique du son par le graphiste : « L’expression ` graphisme musical ´ recouvre (...) tous les signes écrits. En réalité, son sens est plus restreint. Le ` graphisme musical ´ désigne toute musique graphique à base de signes aux formes géométriques précises, chargés d’un réfèrent et d’un ordre. Ces signes rejoignent, par leurs dessins, ceux de la notation traditionnelle : en quelque sorte, ils en sont l’évolution logique et historique. L’expression ` graphisme musical ´ est finalement réservée à ce style de musique. Par opposition, la ` musique graphique ´ est l’expression employée pour toutes les musiques utilisant des formes géométriques ou des dessins non codifiés. (...) c’est le compositeur qui donne son vocabulaire.
On peut facilement imaginer la diversité des tendances et, de ce fait, la diversité des langages ; chaque compositeur va inventer ou développer sa ` graphie ´, celle qui lui paraîtra la plus représentative des sons, des actions, des intentions..., voire de l’inspiration. [6]»
En cela, l’action du graphiste ressemble à celle de ces compositeurs.Malte Martin évoque, dans sa pratique d’affichiste, la recherche de l’expression de « silence » qu’on peut percevoir dans ses réalisations par l’emploi de larges surfaces de blancs tournants qui semblent isoler le motif principal contenu dans ses affiches et contraster ainsi avec  la communication visuelle environnante surchargée et redondante, bruyante en quelque sorte, envahissant les couloirs du métro parisien, par exemple. [7]
Ainsi, le terme « silence » appartient-il à un vocabulaire commun aux champs du design graphique et de la musique, mis en évidence par l’existence de mots partagés qui ont des significations semblables tels que  : « rythme » qui peut être « répétitif » ou « alterné », « harmonie », « motif », « mouvement », « nuance », « ton », « tonalité », « tonique », « touche », « valeur », « vibration »,  « chromatique »,
ou des significations différentes tels que « noire », « blanche ».

Trois graphistes-auteurs régionaux qui envisagent de manière singulière
le son dans leur pratique

Pierre Kurczewski[8] est installé à Saint-Nazaire et pratique le graphisme dans son studio Lesbeauxjours. Il exerce dans le domaine de la communication culturelle pour des commanditaires tels que le VIP à Saint-Nazaire, La Nef à Angoulême, ou encore le Cinématographe à Nantes...
Son graphisme est caractérisé par l’emploi de lignes droites ou courbes, répétitives, qui pourraient connoter successivement  les rythmes et les ondes sonores. Parallèlement, il a déjà montré son travail en lien avec la thématique sonore, lors d’une exposition intitulée Graphic Design That Sounds, à la Nef, du 29/01/10 au 24/04/2010. Sur le site dédié à cette exposition, on peut lire une citation du graphiste suisse Niklaus Troxler, dont le travail est indissociable de sa fascination pour la musique :
« Quand je regarde le travail typographique de Pierre Kurczewski, je peux entendre les rythmes et les, mélodies : sa typographie est une musique.[9] »

Mathieu Desailly[10] est installé à Hédé, commune d’Ille-et-Vilaine. Co-fondateur du collectif Le Jardin graphique, il travaille pour le domaine culturel essentiellement en Bretagne, notamment pour l’Orchestre de Bretagne, le festival rennais Mythos, le Festival de poche de Hédé, la programmation de l’Aire Libre à Saint-Jacques-de-la-Lande,... Parallèlement, une exposition, intitulée Mathieu Desailly ou le patrimoine poétique, lui est consacrée aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine[11] du 08 février au 11 mai 2012. Sans doute lié à sa formation à l’École Boulle, il travaille très souvent à partir de matériaux ou objets qu’il met en scène dans des compositions précises et poétiques.

Vincent Menu[12] est Co-fondateur du collectif Le Jardin graphique. Il exerce aussi dans le domaine
de la communication culturelle, pour des commanditaires tels que le festival Sonorités à Montpellier,  le théâtre La Paillette à Rennes, le festival Méliscènes, ... Il contribue de manière très active à la revue d’artistes Véhicule et enseigne le design graphique à l’université de Rennes 2, dans le cadre d’une Licence d’édition.
Ses compositions graphiques sont souvent minimalistes géométriques, comportant des cercles concentriques ou des segments rayonnants , par exemple. Un certain effet cinétique produit est renforcé par l’emploi d’encres d’impression spéciales à reflets métalliques ou fluo qui semblent irradier le spectateur.


Le Pôle des arts graphiques à côté de la Fabrique

« La Fabrique est un ensemble d’espaces de développement et d’initiatives artistiques géré collectivement par la Ville de Nantes et des associations locales, afin d’accompagner les pratiques émergentes et innovantes[13]».
C’est la composante Stéréolux, elle-même issue de l’Olympic, l’ancienne salle dédiée à des concerts, qui donne la caractéristique musicale prédominante de ce lieu.
Situé à côté de La Fabrique, le Pôle des arts graphiques propose des formations liées au design, aux métiers du livre et de l’imprimerie. Quoi de plus évident alors, d’organiser un événement présentant la relation entre l’univers graphique et l’univers sonore, dans le cadre de l’événement grafism : L’Affiche, La rue…
Yves Guilloux/ onoma
commissariat de l’exposition Sonorités graphiques

[1] - Catalogue de l’exposition Sons & Lumières. Une histoire du son
dans l’art du 20e siècle, Paris, éditions du Centre Pompidou, 2004.

[2] - BRABANT (Éric), « Le graphisme dans la musique «, Communication et langages, Nº14, 1972, p.29-42, (en ligne) disponible sur :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1972_num_14_1_3929, Consulté le 05 novembre 2011.

[3] - Catalogue de l’exposition Sons & Lumières, Op. Cit

[4] - CRUSE (Valentine), Sons & Lumières. Une histoire du son dans l’art
du 20e siècle,  Paris, Centre Pompidou, Direction de l’action éducative
et des publics, décembre 2004.

[5] - Catalogue de l’exposition Sons & Lumières, Op. Cit.

[6] - CRUSE (Valentine), Op. Cit.

[7] - Entretien, Paris, Galerie Anatome, décembre 2009.

[8] - Kurczewski (P.), Les Beaux jours, (en ligne) disponible sur :
 http://www.lesbeauxjours.fr/blog-1.html, consulté le 21 janvier 2012.

[9] - Graphic Design That Sounds,(en ligne) disponible sur :
 http://www.lesbeauxjours.fr/site-gdts/gdts4-b.html,
consulté le 20 janvier 2012.

[10] - DESAILLY (M.), Le Jardin Graphique, (en ligne) disponible sur :
http://www.lejardingraphique.com/, consulté le 20 janvier 2012.

[11] - Archives et Patrimoine dIlle-etVilaine, (en ligne) disponible sur :
http://archives.ille-et-vilaine.fr/mathieu-desailly-ou-le-patrimoine-poetique,129024,fr.html, consulté le 20 janvier 2012.

[12] - MENU (V.), (en ligne) disponible sur : http://www.vincentmenu.com/
 http://www.lejardingraphique.com/, consultés le 20 janvier 2012.

[13] - http://www.lafabrique.nantes.fr/Mode-d-emploi/Activites,
consulté le 25 novembre 2011




Pierre Kurczewski, Festival Farniente, Pornichet.



Pierre Kurczewski, Atmosphère électrique, Nantes.




Pierre Kurczewski, Suspensions électroniques, VIP, Saint-Nazaire, 2008.






Mathieu Desailly, Festival de la parole, acoudés au bord du monde, Lorient, 2005.




Mathieu Desailly, Orchestre de Bretagne.







Vincent Menu, Sonorités, Montpellier.