Michel Ellenberg



Michel Ellenberg, dictionnaire mondial des images p 431

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Citadelle d'Alep photo : Ferrante Ferranti L’esprit des ruines p 225

« Pour présenter le graphisme dans son universalité, mais aussi son ambivalence et son ambiguïté, il n’est pas de meilleure approche que de passer par l’une de ses grandes réussites dans la culture mondiale : la calligraphie arabo-musulmane.
Dans celle-ci toutes les lettres s’enchaînent en une ligne continue, ductile, riche en courbes secondaires. Elles peuvent être étirées à l’horizontale, allongées à la verticale ou bouclées, selon l’option esthétique du scripteur ou les impératifs de la mise en espace. Dans une civilisation hostile à l’image et qui interdit les représentations figuratives, la calligraphie est seule à exalter la volonté créatrice de formes et leur pouvoir d’évocation. Elle fait défiler devant les yeux de l’observateur « une ligne d’horizon dans le désert où il s’évade derrière la chevauchée chorégraphique des lettres », (Hassan et Isabelle Massoudy).
Mais la calligraphie sait s ‘évader de la page. Elle se déploie dans l’architecture, où elle assigne sa signification à un bâtiment (voir p 225 Citadelle Alep Ferrante Ferranti); elle entoure une céramique ou une lampe en verre, non comme une décoration surajoutée, mais en tant qu’élément co-structurant, inséparable de sa morphogénèse. Sa variabilité et sa souplesse d’adaptation étant quasiment infinies, elle peut se nouer en signes spaciaux dont la portée dépasse celle du texte, qui peut parfois devenir illisible.
Et paradoxalement, il arrive que ces enchevêtrements prenne la forme d’un oiseau ou d’un autre animal, ces êtres étant non pas silhouettés ou figurés, mais évoqués par leur présence calligraphique. Arrivée à ce point, l’écriture a refait à rebrousse-temps le chemin de son évolution, puisque la lettre s’est formée par abstraction progressive à partir du dessin, puis du pictogramme. » (...)