le chant rythmique de l’esprit

“le chant rythmique de l’esprit”
catalogue expo Mouans-Sartoux été 2005

[...] Je ferai remarquer que si l’art abstrait géométrique, grâce à Mahomet, a pu rentrer magnifiquement et autoritairement dans l’histoire, ce fut une exception, car rien de remarquable ne s’est vraiment passé avec d’autres protecteurs musclés, comme Léon III (plus d’un siècle d’iconoclasme !) ou Luther (plus de quatre siècles de protestantisme !).
F. Morellet

Trois phénomènes très différents, les voyages exotiques dont le souvenir fut maintenu et cultivé par des acquisitions faites dans les bazars, par les dessins publiés dans les livres, et surtout par les photographies ; un mouvement pan-européen pour la reconstitution d’un art de l’objet ; des expositions dans quelques grandes villes au début du XXe siècle, apportent au XXe s une nouvelle expérience de l’art islamique et la rende accessible à un monde d’artistes, surtout de peintres, dont beaucoup sont à la recherche d’idées et de sensations nouvelles.

Kupka : « (1910) L’art arabe, tout de formes inventées — et non pas bêtement, faussement copiées d’après nature —, incarne à nos yeux une harmonie qui marie la pureté plastique à une rare noblesse. C’est un monde plus élevé que le nôtre, un art qui ne s’arrête pas à la seule arabesque. Il y a, dans la disposition des éléments plastiques, le chant rythmique de l’esprit ».

Avant d’être une source d’inspiration, l’aniconisme de l’art islamique est avant tout un

Dans les années 1920, des artistes comme Kupka, Kandinsky, etc. se rendent compte — et c’est l’héritage de la connaissance de l’art islamique —, que le débouché de l’abstraction n’est pas nécessairement l’absence de signification, un pur formalisme ; au contraire, le refus de l’image figurative serait la condition d’un accès plus direct au contenu émotionnel des formes et à l’essence spirituelle du Monde.

Karl Gerstner, artiste suisse, se penchant sur les causes de l’exigence anti-naturaliste de l’art islamique explique la «prédisposition naturelle de l’Islam aux idées abstraites. Le système ornemental abstrait se charge de significations qui vontse au jour révèle de nouvelles dimensions spirituelles sans cesse plus profondes ».

Dans les années 1950, le mathématicien Andreas Speiser, travaillant sur les combinatoires de rotations, translations, projections symétriques qui rendent compte de la combinatoire de l’arabesque polygonale, met en évidence que l’expérimentation artistique joue un rôle moteur dans la préfiguration cognitive des notions mathématiques : l’ornement n’est pas l’application d’un savoir préformé, il en serait plutôt la recherche et la formulation empiriques, l’expression en actes de “la pensée mathématique”.

Selon Morellet, sans la confrontation aux arts de l’Islam, les modes compositionnels classiques de l’art occidental se seraient perpétués, en basculant vers l’abstraction, simplement sous une forme simplifiée.
A la recherche d’une abstraction qui trancherait plus radicalement avec cette tradition, une abstraction de l’abstraction, Morellet s’engage dans la voie d’un art systématique et programmé, fondé sur des opérations élémentaires : répétitions, progressions, rotations, translations, permutations.
Les motifs de l’Alhambra sont des exemples stupéfiants de complexité et de diversité, de structures visuelles dépouillées de tout souvenir de l’ordre phénoménal du monde, par l’emploi d’une géométrie répétitive et entièrement couvrante qui assure une expansion égale, en tout point de même intensité, du champ perspectif.
Dans ce contexte, le travail de Morellet, débarrassé de tout souvenir naturaliste et anthropomorphique, portera un nom le all-over. D’incarnation d’une idée métaphysique, l’homogénéïté de l’espace ornemental, sans point focal, sans accent privilégié, sert désormais un art volontairement anonyme, où la disparition du centre vaut également comme neutralisation revendiquée du noyau subjectif de la création.

Gottfried Honneger écrit :
« L’art de l’Islam est dédié à l’homme religieux.
La terre, la nature sont éphémères, poussières et cendres.
Se faire une image, c’est un péché contre Dieu, l’éternel, le sacré. "

[...] A la source de l’art constructif, de l’art conceptuel, de l’art concret, est le cubisme. Ce sont les cubistes qui ont eu le courage de se libérer du sujet pour aller vers la forme pure. Ce sont les cubistes, les premiers qui ont compris que l’art ne doit pas être au service du pouvoir, de la religion, de l’image naturelle.

Jean Arp a écrit :
« Nous ne voulons pas copier la nature. Nous ne voulons pas reproduire, nous voulons produire.
Nous voulons produire comme une plante qui produit un fruit et ne pas reproduire. Nous voulons produire directement, et non pas par truchement. Comme il n’y a pas trace d’abstraction dans cet art, nous le nommons : art concret.
L’art concret est un art élément ».